L’œuvre au noir ( I )

 

Premier volet d’une série d’articles au sujet de la couleur. Toutes les couleurs. À suivre…

Eau-forte de Rembrandt, 1643

Black is pas très beautiful, faut avouer.

 

Vous aimez ça, vous, les idées noires ?

La nuit noire de l’âme ?

Marcher dans les ténèbres ?

 

Parmi les clichés qui persistent au sujet de l’Orient, il y a cette idée selon laquelle le blanc serait la couleur de la mort. Ils auraient inversé les choses. Ou plutôt nous, car les chinois seraient une plus vieille civilisation (autre cliché).

Michel Pastoureau, expert en héraldique, en ours et en couleurs (il était « archiviste paléographe »), nous assure que le blanc n’est en Orient que le symbole vestimentaire du passage, pas celui associé à la mort. Les Asiatiques aussi pensent qu’au bout du tunnel il fait nuit.

Les Romains, eux, faisaient le deuil en gris. Évidemment : la couleur des cendres.

 

Qui, dans le Zen, n’a pas entendu cette réflexion un brin hostile, au sujet de nos tenues :

« Pfff, rolala c’est dark votre truc là ! Ça respire pas la joie, faut mettre des couleurs ! ».

 

Les gens lisent des romans noirs, se délectent des films d’horreurs, voire carrément écoutent France Info chaque matin, puis ils viennent réclamer pour autrui un zen tout pimpant.

Ils veulent du new-age mordoré, pas des austérités. Ils pensent que Bouddha est un type en or. Ils ne pensent plus à l’or noir.

 

Alors que le noir, c’est tellement plus et mieux qu’une absence de couleurs.

C’est la parure des architectes et des corbeaux, ces merveilleux oiseaux.

C’est la trame où scintillent les étoiles.

C’est le symbole de l’infini – ce qui indique bien qu’on peut tout y mettre.

 

Et de quoi se plaint-on ? En son ombre élégante, le zen vient à la rencontre de la banalité du monde contemporain.

Regardez autour de vous : on y plébiscite le bleu marine et le noir.

 

Attribuer au zen la couleur noire (ou bleu de Prusse, ou le Pantone 294 C…) est très honnête.

Ceux qui sont venus à la pratique pour baver des arc-en-ciels sont déjà repartis. Le zen carbure au charbon. On n’en finit jamais de creuser et de brûler les sédiments des temps accumulés.

 

Passer toutes les couleurs au prisme décompose la lumière « blanche » en couleurs.

Et passer tous les karmas au feu intérieur donne quelque chose de pas très clair.

 

 

Extrait de « L’enfance d’Ivan », Andreï Tarkovski, 1962

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